TEMOIGNAGE – Coronavirus : “Nous sommes le maillon d’une grande chaîne de vie” raconte Gwendoline, ambulancière
Gwendoline Lemblé est une jeune femme habituée à travailler perpétuellement sous pression. Une ambulancière. Avec l’arrivée du covid19, cette pression s’est accentuée davantage encore. Un poids qu’elle doit porter et transporter sur les routes. A toute vitesse. Et quoiqu’il advienne. Témoignage.
Je dois en être à mon septième portrait maintenant. Durant ces entretiens, j’ai discuté avec bon nombre d’infirmières, d’agents hospitaliers, de médecins. Ceux-là mêmes que nous applaudissons tous les soirs à 20h, sur nos balcons, à la faveur du soir qui tombe. Les ambulanciers font partie des oubliés. De l’Etat, mais aussi de nos pensées crépusculaires. Ils participent pourtant de la chaîne médicale. Ils en sont même souvent le tout premier maillon.
C’est ce besoin de reconnaissance, énorme et sincère, qui ressortira de ce portrait. Le portrait de Gwendoline Lemblé, 25 ans, ambulancière dans le sud de l’Alsace. En première ligne contre le covid. Contre le temps qui défile sous ses roues.
La route, pas la routine
La voix de Gwendoline est encore enfantine. Rieuse. Un rire qui voile sa pudeur. La jeune femme semble comme intimidée par la mission qui lui échoit aujourd’hui. Parler au nom de ses collègues de bitume. C’est pourtant bien elle qui s’est portée volontaire pour me raconter son quotidien. Un quotidien qui, pour le coup, ne l’intimide nullement. Le covid19.
Quitte à me répéter, ces hommes et ces femmes que j’appelle depuis un mois, ont un facteur commun. Le facteur humain. Sans vouloir faire de vulgaires généralités, je suis convaincue que mes interlocuteurs sont spontanément altruistes. Ils ont, tous, ce besoin impérieux d’aider. Gwendoline ne déroge pas à la règle. « Déjà au lycée je savais que je voulais travailler dans le paramédical. Pour me sentir utile, aider les gens. Comme je n’ai pas eu mon bac, j’ai d’abord été agent de service hospitalier dans un Ehpad pendant deux ans, avant qu’un ami, ambulancier, me parle de son métier. J’ai voulu essayer. » Gwendoline entre comme auxiliaire au Groupement ambulancier du Grand Est dans le secteur 7, celui de Masevaux (68), avant de passer son diplôme d’Etat en juin 2019. Sans faire de détours.
« Je ne changerais de métier pour rien au monde. Je crois que c’est un métier de passion. » De passion plus que de raison. Indubitablement. « On ne fait ambulancier ni pour le salaire, ni pour les horaires, ça je vous l’assure. C’est comme pompier volontaire. » Ce que Gwendoline est par ailleurs. « Sinon on ne tient pas longtemps. » Le salaire moyen d’un jeune ambulancier tourne autour du SMIC. « Ce qui me plaît là-dedans c’est les rencontres, chaque fois différentes, le fait d’être là pour les gens, de les rassurer dans des circonstances difficiles. D’être toujours sur la route. C’est la route, sans la routine quoi. »
A tombeau ouvert
La crise du covid19 a accéléré la cadence. A tombeau ouvert. « Fin mars, lors de ma dernière garde départementale, nous en étions à 14 interventions par jour contre 5 ou 6 d’habitude. » Des interventions « minute » car, au même titre que les hospitalisations, les transferts non urgents ont été déprogrammés. « D’habitude, je tourne autour des 10h de travail par jour mais en ce moment les heures sup explosent. Sur les 12 derniers jours, j’en ai travaillé 9, soit 110h. Je suis sortie de là épuisée, je n’ai jamais été aussi épuisée de toute ma vie. Physiquement j’étais à bout. Psychologiquement moins, ça fait partie de notre métier. » Pas de soupir. Aucune lassitude. Juste un constat. Lourd.
Dans les régions moins touchées par le covid19, les ambulanciers privés restent, eux, sur la touche. Leur activité a chuté de 50% à 90%. Une situation tout aussi difficile à vivre.
J’appelle Gwendoline le 6 avril dernier. Nous sommes en plein dans la vague covid. Gwendoline transporte des malades vers un lieu incertain. Un avenir compromis. Elle le sait. Eux aussi. « Pendant le trajet, nous, on a le temps de leur parler. Une fois arrivés là-bas, à l’hôpital, pour ceux qui sont dans des états critiques, c’est fini, ils seront pris en charge dans l’urgence. Finies les discussions. Alors, nous, on discute, on les rassure. Ils ont besoin de parler ça se sent. On fait beaucoup de social en fait. » L’arrière de l’ambulance est un confessionnal laïc.
En guise de soutane, des combinaisons intégrales, des surchaussures et des lunettes de protection. Des EPI, équipements de protection individuelle, que les ambulanciers du Grand Est doivent au réseau Carius. Le réseau national des transporteurs sanitaires indépendants. Et pas à l’Etat. Pas du tout. « Nous, pour les masques et pour le reste, on n’a jamais été prioritaires. Nous dépendons du ministère des Transports et pas de la Santé. Nous ne sommes même pas considérés comme organisme de santé en fait. On est des transporteurs routiers, des transporteurs de marchandises. Donc on n’a rien. » Des transporteurs médicalisés. Des transporteurs vitaux. Gwendoline n’est plus farouche. Elle est en colère.
La revanche des oubliés
Pas de prime covid19, pas de masque, pas de test de dépistage pour les 55 000 ambulanciers privés de France. Une pétition circule d’ailleurs sur le net pour dénoncer cet état de fait.
Gwendoline ne comprend pas. « La reconnaissance on l’a pourtant tous les jours, celle de nos patients. Pour les autres et pour l’Etat on passe inaperçus. Depuis la crise sanitaire, les gens nous laissent enfin passer sur la route. Sinon, ils s’en fichent. Nous avons pourtant énormément de responsabilités, nous avons parfois la vie de patients entre nos mains. Pour une durée déterminée d’accord mais quand même. » Notez, le mot patient. Et pas client ou usager. « On est indispensables mais invisibles. Enfin jusqu’à ce qu’on ait besoin de nous. »
Et ce jour-là est arrivé à toute blinde. Les ambulanciers privés ont participé activement aux opérations Morphée, acronyme de Module de Réanimation pour Patient à Haute Elongation d’Evacuation. Autrement dit au dispositif d’évacuation médicale aéroportée mis en place pour la première fois en Alsace le 18 mars dernier. « Moi j’ai participé à Morphée 4, le 27 mars, c’était énorme. Extraordinaire. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais. Pour la première fois, j’ai senti qu’on faisait vraiment partie de la chaîne médicale. La chaîne de vie. »
La voix de Gwendoline s’anime d’un feu nouveau. D’un feu prométhéen. Mythologique. « Nous étions tous les corps de métier regroupés à l’aéroport. 150 personnes, médecins, Samu, vigipirate, ambulanciers… C’était très gratifiant pour nous. Six ambulances ont participé à cette opération. Nous devions transférer des patients en réanimation de l’hôpital Emile Muller de Mulhouse jusqu’au tarmac. A l’arrière chaque patient était accompagné d’un médecin et d’un infirmier. L’équipage de l’avion les a ensuite pris en charge. C’était très délicat. Très stressant car nous avions beaucoup de matériel à transporter comme les respirateurs. Rouler vite mais sans secousses. Et moi, là-dedans, j’étais un rouage essentiel de cette formidable mécanique. »
Le mot de la fin sera une note. Une note d’espoir. « J’espère qu’après cette histoire, on nous regardera différemment. Qu’on continuera à nous laisser passer sur la route comme en ce moment. Que notre métier sera valorisé. Que nous serons vus. » Gwendoline vient de m’envoyer sa photo. Je découvre une jolie brune au regard pugnace. Une amazone. Cette fois je la vois. Moi.
Article par Cécile Poure – France 3 Grand Est